C’est un certain mercredi soir d’avril. Il pleut considérablement sur la rue Shefford. À mon arrivée au Bistro 633, un long tapis de jute imbibé d’eau trace le chemin jusqu’à la lumière chaude qui passe par la lucarne de la porte principale. Je rentre en bourrasque, les épaules tendues, réagissant ainsi au froid humide d’une pluie printanière. Mon corps se redresse rapidement puisque l’ambiance de chaumière me réconforte instantanément. De plus, c’est Luc qui m’accueille et sa présence ajoute une bûche dans le foyer.
Luc Viens est un restaurateur autodidacte qui a fondé le Bistro 633 à Bromont le 9 mai 2013, à la fois sur un coup de cœur et sur un coup de tête. Dès notre première poignée de main j’ai compris que j’étais devant un être curieux et passionné. Ce soir, il porte un kilt authentique et traditionnel, ce qui lui confère une complexion à la fois imposante et joviale. J’avoue que toute cette mise en scène me donne un très bon pressentiment pour la soirée à venir.
Malgré quelques annulations dues aux intempéries de fin d’hiver, l’endroit est bien rempli. Les gens sont densément assis dans la vieille partie du resto. C’est une jolie petite maison centenaire au plancher de bois craquant, ce qui ajoute à la convivialité de l’endroit. Luc attire l’attention avec sa voix portante et donne le coup d’envoi à l’événement.
Quatre scotchs sont à l’honneur et seront méticuleusement dégustés en accord avec les plats servis. En effet c’est assez rare de faire ce genre de dégustation semble-t-il. Nos origines françaises obligent bien sûr la présence du vin sur toutes les tables. Mais ce soir c’est le légendaire spiritueux d’Écosse qui est en tête d’affiche. Luc Viens et sa « gang » font ce genre d’événements une fois par mois depuis 7 ans. De son côté, Martin Massé, directeur général de l’établissement ajoute même qu’ils ont servi presque 200 spiritueux depuis. Le duo est ensemble depuis 8 ans maintenant et j’avoue qu’ils ont l’air de « tripper ». D’ailleurs, je devine que Martin c’est la force tranquille dans l’équipe. Il est du genre détendu et il a les yeux sur chaque petit détail.
Le « show » prend de l’ampleur et une jolie cohue s’installe. De mon côté je peine à effectuer mon travail puisque je suis facilement dans les jambes de l’équipe de service. D’habitude je réussis à me faire petit mais ce soir c’est impossible. En plus Jean-Benoît qui est serveur et actionnaire, est d’une rapidité olympique. C’est évident que tout est orchestré de façon à rendre l’expérience exceptionnelle pour les convives. C’est visiblement un aspect qui est non négociable pour le bistro.
La clientèle vient d’un peu partout dans les Cantons-de-l’Est. Je m’adonne à jaser quelques instants avec Nancy et Claude. Pour eux, le Bistro 633 c’est « le spot! », et Claude fait valoir « moi j’habite juste ici en arrière, ce bistro c’est ma deuxième cuisine ».
J’arrive ensuite à faire mon chemin jusqu’à une autre table un peu recluse. C’est là que je rencontre Marlène, assise avec son conjoint et un couple d’amies. Elle me fait remarquer que le vieux stéréotype du « boy’s club » des anciens salons de cigares était un peu révolu : « c’est sans doute pour ça qu’il y a autant de femmes qui s’intéressent au whisky », dit-elle avec conviction. En regardant autour je réalise également à quel point la moyenne d’âge est variée. Il est clair que l’établissement a vu juste en osant proposer des soirées de dégustation de whisky. Ça plaît de plus en plus à un très large public et c’est aussi un spiritueux qui oblige la dégustation très lente et encourage donc au passage une belle satiété.
D’ailleurs, au fur et à la mesure que les plats sortent de la cuisine, Luc Viens n’hésite aucunement à inonder le public d’informations. Il insiste pour expliquer soigneusement l’ensemble des subtilités afin de favoriser l’appréciation. Peu importe avec qui je m’entretiens pendant la soirée, le dénominateur commun c’est Luc. Il est un vulgarisateur hors pair et un animateur contagieux. « Je suis dédié à l’Écosse, j’ai même la carte de l’Écosse tatouée sur le bras gauche : regarde! », dit-il en me le montrant. « Je pense que j’ai une connexion viscérale avec ce pays. Anyway, quand j’aime quelque chose je suis toujours all in! ».
Pour leur part, Renée et François ont découvert le whisky ici même. François raconte qu’ils sont entrés un jour par simple curiosité et de là les chose ont déboulé. « Luc nous a accueilli comme seul lui sait le faire », dit-il en ajoutant « il a eu l’audace de nous proposer de monter un menu pour nous, et il nous a glissé un scotch dans le service. Depuis nous sommes des inconditionnels de la place ». Renée ajoute « J’aime le whisky depuis ce temps. Pour ma part, je trouve ce spiritueux plus sympathique en mangeant. »
La soirée se termine doucement. La sonorité des discussions se calme tranquillement. Les gens quittent sereinement en insistant pour remercier adéquatement les hôtes. Au Bistro 633 l’art de la table c’est beaucoup plus que de la bonne bouffe et du bon service. C’est aussi l’art d’aimer les gens et d’aimer la vie en général. Pour l’équipe c’est aussi l’occasion de partager une passion. La place a une âme et je devine sans trop me tromper que les gens reviennent souvent parce qu’ils ont cette impression d’être en famille et ça, c’est plutôt unique de nos jours.
Photos et texte par Jean Martin
En plus d’une pratique artistique soutenue depuis 1997, Jean Martin a été conférencier et directeur artistique et enseignant au Collège de photographie Marsan de 2008 à 2018. Il a également co-fondé la maison de disques indépendante Unknown Records en 2007.
Depuis peu, Jean Martin vit dans les Cantons-de-l’Est afin de se consacrer exclusivement sur sa propre production artistique.