Pour une escapade gourmande entre amateurs de vin et locavores
Prévisible, la gastronomie hors de Montréal ? De moins en moins, car une nouvelle génération de chefs et de restaurateurs, après avoir fait leurs armes dans des établissements de la métropole, migrent vers les couronnes nord et sud (et au-delà !), avec au menu une approche décomplexée, des assiettes bien roulées et, alléluia, des cartes des vins qui s’aventurent hors des sentiers battus.
Depuis quelque temps, cette nouvelle garde semble avoir trouvé un terrain fertile pour s’émanciper hors de l’île. On pense à des bars à vin comme Oregon, à Laval, Deux, à Sainte-Thérèse, ou encore Comptoir, à Saint-Jean-sur-Richelieu, qui font chacun le pari de miser sur les vins nature, les importations privées et les petites cuvées. De quoi ravir les connaisseurs et les curieux expatriés de la métropole, à la recherche de nouvelles adresses à adopter.
C’est le cas du Chardo resto et bar à vin, un petit nouveau ouvert au début de l’automne, en plein centre de Bromont, dans la rue Shefford. Un projet d’un trio de jeunes restaurateurs : le chef Anthony Mesko (Bouillon Bilk, Europea) accompagné, en salle, d’Amélie Dubé et de Benoît Hébert. Ces derniers ont d’ailleurs fait partie de la toute première cohorte de lauréats de la Dotation pour les jeunes talents de Gault & Millau, le printemps dernier.
L’art de bien boire
Établi dans une petite maison de briques, le Chardo propose un intérieur moderne et épuré assez simple. À l’avant se trouve une salle rectangulaire où sont disposées la grande majorité des 45 places. Derrière un muret s’élance un long bar en bois d’une dizaine de chaises, d’où l’on peut apercevoir les cuisiniers à l’œuvre. Deux grandes fenêtres donnent sur la rue principale et, par beau temps, la terrasse… qui n’était évidemment pas ouverte lors de notre passage ; le mercure avoisinait les – 30 °C en ce glacial temps des Fêtes.
Pas de fioritures côté décor, donc, mais un environnement où l’on a mis les attentions à la bonne place (par exemple, de belles chaises confortables en velours gris bleuté en salle) et où, surtout, on est accueilli avec le sourire, de façon affable, par le personnel éminemment sympathique. En quelques instants, on s’y sent chez soi.
Assis au bar avec ma comparse de la soirée, c’est d’abord la carte des vins et alcools qui attire notre attention.
Vins bios ou nature, le jus « vivant » est à l’honneur chez Chardo, qui fait le pari d’intéresser la clientèle à ce type de produits – d’ici et d’ailleurs, plusieurs bouteilles québécoises se taillant une jolie place dans la sélection.
Un pari réussi. Les néophytes comme les connaisseurs y trouveront leur compte puisque l’endroit se fait un point d’honneur de proposer avant tout des bouteilles qui se boivent bien, peu importe qu’on ait les papilles exploratrices ou non. Saluons au passage l’offre intéressante de vin orange au verre, une belle façon de s’initier à ce type de vinification.
Sur les bons conseils de Benoît, un passionné de bonnes choses à boire, c’est d’ailleurs sur deux sélections de vins orange, vifs, frais et fort agréables en bouche (Dinavolino de Denavolo et Orange One de Paraschos), que notre choix s’arrête pour le souper. Mais d’abord, nous débutons de belle façon avec un cidre nature québécois de Clos Saragnat, une charmante découverte qui ouvre l’appétit.
Dans la forêt
L’offre au Chardo s’appuie sur deux lignes directrices : une carte de vins vivants puis, dans l’assiette, un penchant affirmé pour la cuisine sauvage et locale. Les produits des forêts et lacs québécois, issus de la cueillette et de la pêche, occupent une place de choix sur la carte. Pensez champignons des bois, doré, cœurs de fenouil, gadelles et même du chaga, un champignon aux multiples propriétés poussant sur l’écorce des arbres qui se glisse dans la carte des desserts.
Sans rien révolutionner, la cuisine du Chardo se distingue par l’utilisation d’ingrédients moins communs, apprêtés et combinés avec inventivité, pour un résultat généralement fort savoureux et bien présenté.
En entrée, le plat d’endives braisées, servies sur un impeccable bouillon au flanc de porc et gratinées au parmesan, laisse une impression durable. Le type de plat à la fois réconfortant et raffiné que l’on mangerait encore et encore au cœur de l’hiver.
Tout aussi satisfaisant est le plat d’escargots et de marrons, un mariage inusité, mais qui fonctionne à merveille dans la rencontre des textures et saveurs. Accompagné de croûtons de mie de pain et de petits cubes de poire, c’est l’une des vedettes de la soirée.
Plus brouillonne, l’entrée de champignons des bois est moins réussie avec son jaune d’œuf coulant, ses pommes de terre rattes et son crumble de cacao, trop présent et qui finit par étouffer le plat. Un concept intéressant, mais qui gagnerait à être raffiné.
Après ce premier service costaud, il fallait trouver de la place pour nos plats principaux. Au turbot du jour, un peu trop cuit, servi avec des cœurs de fenouil et un « risotto » de riz sauvage (une très bonne idée, bien réussie), on a préféré les raviolis de lièvre, avec ricotta maison et sauce au bleu, accompagnés des rognons de l’animal. Le tout est surmonté d’une belle pièce de chou confit au citron, légèrement caramélisée, qui ajoute une dimension légèrement acidulée à ce plat réconfortant et onctueux. Étonnant et réussi.
Intriguées par l’utilisation originale du chaga, infusé dans du lait puis monté en panna cotta, nous optons pour ce dessert, ainsi que pour la mousse de chocolat et gadelles. Pas trop sucrés, ce qu’on apprécie, les desserts offrent de belles textures, mais tombent un peu à plat côté saveur et peinent à se démarquer l’un de l’autre.
Un petit faux pas vite pardonné, alors qu’on sirote notre vin de paille liquoreux de Clos Saragnat en digestif, une rareté d’ici, complexe et intense. De quoi finir le repas sur une belle note !
Notre verdict
Prix : De 8 $ à 13 $ pour les entrées, de 18 $ à 36 $ pour les plats principaux. Menu dégustation cinq services, au choix du chef, à 55 $ (ajouter 35 $ pour les accords de vins)
Carte des vins : Une très belle sélection de vins nature, bios ou vivants, qui peut plaire à tous, élaborée par des passionnés de bons jus
Service : Éminemment sympathique et efficace
Décor et ambiance : Salle assez épurée, mais accueillante, beau et long bar en bois. Belle ambiance animée, sans être survoltée. Pour l’instant, l’établissement a seulement un permis de bar, donc les mineurs ne sont pas acceptés à l’intérieur, mais l’équipe espère obtenir son permis de restaurant sous peu.
On aime : La sélection de vins et d’alcools, le parti pris pour les ingrédients sauvages et moins usuels, l’inventivité
On aime moins : Quelques plats moins maîtrisés, les desserts
On y retourne ? De passage à Bromont, absolument, que ce soit en après-ski ou après-spa, ou l’été prochain, pour profiter de la terrasse